Philippe Schoepen

samedi 18 novembre 2023

Karel "Charlie" De Wulf : "La guerre est une absurdité"

 Je l'appelais "Parrain".  Le patriarche. 

Il a tout réussi dans sa longue vie : famille — armée — diplomatie — patrie.

Ce superbe Belge n'aura raté que la barre fatidique des cent ans, ceux qui mettent les plus-que-seniors dans le journal. 

Karel 'Charlie" DE WULF - 12/08/1924 - 26/10/2023

Je vous raconte trois anecdotes sur mon Oncle Charles, avant de laisser le clavier à celui qui lui succéda au poste de Président du Conseil Supérieur des Invalides de Guerre et des Anciens Combattants et Victimes de Guerre. Je le remercie pour son très beau texte.

L'autre Charlie

J'ai quoi, sept ans ? Je suis à Oudenburg, ancien village romain, à quelques kilomètres de la mer du Nord. À la suite d'une bêtise de gamin, ma grand-mère Irma me tire les oreilles avec cette menace : "si tu n'es pas sage, j'appelle Charlot !"

Ensuite, moi de me demander pourquoi ma bobonne Irma Claeys va convoquer l'irrésistible clown pour une punition incongrue.

Jacques, François, Valéry, Georges et Charles

Noël 1981. Les élections de mai 1981 ont livré un verdict tel un tremblement de terre chez nos voisins que mon oncle connaissait si bien. Nous sommes en famille chez lui, et je m'ennuie. Il me demande, comme à chaque fois, de lui raconter ce que j'étudie. Je lui glisse que je dois réaliser un travail en histoire sur les Présidentielles françaises, mais que je n'ai aucune inspiration. Internet et ChatGPT n'existent pas encore.

"Gamin (il m'appelait 'Gamin' jusque fort tard), va me chercher du papier et mon stylo !" Je m'exécute. Ainsi, le voilà qu'il remplit, sans s'arrêter ni respirer, une vingtaine de pages, passant de Marchais à Chirac en passant par Mitrand (Mitterrand :-)) et Giscard d'Estaing. Personnalité, programme économique, perspectives. Tout y est. Je fus brillant à l'oral, grâce à lui, tout en prenant la posture de VGE, avec ma taille de géant de 18 ans.

Le vieil homme et l'amer

Je remonte le temps, j'ai huit ans, à Middelkerke, au pied du building dont j'ai oublié le nom et dans lequel il avait un appartement, de mémoire au cinquième étage.

Lui et moi avons décidé de construire une muraille infranchissable avec des tours de contrôle sur la mer qui nous menace. Deux pelles ne sont pas de trop pour construire la plus belle des fortifications du monde libre.

La mer est irrésistible, ses vagues lèchent notre création, inlassablement. Notre sable, tel un ciment blessé, résiste mollement, jusqu'à laisser entrer l'ennemi à l'intérieur de notre domaine. Je reste sur les marches, gamin impuissant. 

Alors qu'il y a plus grave.

La mer vient d'emporter Charlot.

***

In memoriam, Charles

Chère famille, chers toutes et tous,

Le papa, grand-papa, parent, ami ou connaissance qui repose devant nous était clairement un « homme hors du commun ».  À plus d’un titre.  

Permettez-moi de m’adresser une dernière fois à lui, lui qui m’a mis dans ses pas comme président du Conseil Supérieur des Invalides de Guerre, Anciens Combattants et Victimes de Guerre.

Monsieur le Colonel,

Né le 12 août 1924 à Westende, vous vous êtes éteint à 99 ans.  A un âge où vous étiez un des derniers à avoir vécu les réalités de la Seconde Guerre mondiale.  

Votre parcours est hors norme, tant avant qu’après votre engagement au sein des Forces armées belges en 1945.

Une mutation de votre papa, technicien des Chemins de fer, vous fait quitter votre Flandre occidentale natale pour rejoindre Tournai, où vous passerez votre adolescence et suivrez vos études secondaires.

Scout, vous apprenez à connaître les coins et recoins de la région.  Alors que vous n’avez pas 20 ans, cette connaissance du terrain vous amène à prendre part à de premières actions de résistance : vous participez activement à la réception de matériel et de personnel parachutés en provenance de l’Angleterre.  Vous êtes arrêté et envoyé quelque temps en Allemagne dans le cadre du travailleur obligatoire.  Vous revenez en Belgique avec l’idée de rejoindre Londres.

Inscrit à l’Université d’Anvers, un prétendu travail à caractère académique à l’Université de Montpellier vous permet de partir pour la France au printemps 1944.  Le 6 juin 1944, vous vous trouvez à Caen, à proximité immédiate des plages du débarquement.  Avec un certain culot mais aussi une assurance certaine, vous allez au-devant des troupes débarquées et parvenez à vous faire attacher au Quartier-Général d’une grande unité britannique.

S’étant rendu compte de votre bonne connaissance de la région de l’Escaut, objectif suivant dans leur progression vers l’Allemagne, les Anglais vous font suivre une formation d’agent du Secret Intelligence Service pour être envoyé en Belgique occupée et préparer des opérations.  Le recul des Allemands vers l’Est, finalement plus rapide qu’attendu, rend ces opérations d’infiltration inutiles.  Vous quittez dès lors le service des Anglais et vous engagez en janvier 1945 dans une armée belge en pleine reconstruction, appelée à renforcer les armées alliées.

Volontaire de guerre au 10e bataillon de Fusiliers, vous entrez en campagne en février 1945 au sein de la 3e armée américaine du Général Patton.  De mars à mai 1945, vous participez aux opérations de nettoyage effectuées par votre unité entre le Grand-Duché de Luxembourg et le cœur de l’Allemagne.  Vous y êtes blessé.

Vous n’avez jamais voulu vous exprimer sur cette période de votre vie.  Pudeur d’un homme sensible derrière la cuirasse, que la rudesse de la guerre aura heurté.

Cet engagement actif comme Volontaire de guerre vous permettra de bénéficier du statut de reconnaissance nationale.

Le conflit terminé, vous choisissez de rester au sein des Forces armées belges et devenez sous-lieutenant en 1946.  Officier du corps des Troupes Blindées, vous êtes nommé au grade de colonel en 1972 et êtes admis à la pension en 1980.

Une carrière bien remplie au cours de laquelle, notamment, vous avez été Attaché militaire belge à Londres et commandant de l’Ecole des Troupes Blindées.  Un parcours ici aussi peu ordinaire puisque vous avez été mêlé à l’acquisition du matériel majeur mis en œuvre par les troupes blindées durant les années 1970 à 2000, le char Leopard d’abord, le véhicule de reconnaissance CVR-T ensuite.

Une fois admis à la retraite comme militaire, vous êtes resté tout sauf inactif.  Vous avez accompagné les associations patriotiques mais, surtout, vous avez été Président du Conseil Supérieur des Invalides de Guerre, Anciens Combattants et Victimes de Guerre, jusqu’au 1er janvier 2020, alors âgé de plus de 95 ans.  Sous votre présidence, le Conseil Supérieur a rendu de nombreux avis sur des projets de textes de loi ou de textes réglementaires concernant tout ou partie de la communauté des victimes de guerre.  La caractéristique constante de ces avis aura été la clarté, la juste balance des intérêts en jeu et le souci de l’équilibre entre tous les groupes de bénéficiaires d’un statut de reconnaissance nationale, sans avantage ou désavantage particulier pour l’un ou l’autre.

Monsieur le Colonel, vous resterez dans nos mémoires pour votre engagement déterminé envers notre Pays et ses habitants.

Lors d’un de nos derniers entretiens l’été dernier, vous m’aviez indiqué avoir le sentiment, à 99 ans, d’être le dernier encore en vie et d’avoir été oublié par Dieu. Dieu ne vous a pas oublié. Qu’Il vous garde.

03/11/2023

Colonel BAM e.r. André Fontaine

Président du Conseil Supérieur des Invalides de Guerre,

Anciens Combattants et Victimes de Guerre


Quand un jour, tôt ou tard, il faut qu'on disparaisse, quand on a plus ou moins vécu, souffertr, aimé, il ne reste de soi que les enfants qu'on laisse et le champ de l'effort où l'on aura semé.

(Charles de Gaulle) 

 


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